“En mars 2020 nous n’avions pas de tests PCR pour faire un diagnostic, des personnes se présentaient aux urgences” explique le Dr Catherine Le Gall, Cheffe des services des urgences et cheffe de pôle des soins non programmés à l’hôpital d’Argenteuil. Découvrez ici son retour d’expérience de la crise sanitaire depuis 2020.
SESAN : Comment s’est passé votre utilisation du module eCovid à l’hôpital d’Argenteuil pendant la crise sanitaire ?
L’utilisation d’eCovid a été initiée dès la première vague en mars 2020 et a évolué au fil du temps. En mars 2020 nous n’avions pas de tests PCR pour faire le diagnostic, les personnes se présentaient aux urgences et lorsque la covid était suspectée, ils étaient inscrits sur eCovid pour les suivre à distance. Très vite il y a eu un engouement à l’inscription pour la plateforme et nous avons créé sur l’hôpital une cellule Terr-eSanté d’inscription et de rappel coordonnée par l’infectiologue Dr Longuet. Tous les diagnostics ambulatoires de covid aux urgences, dans l’hôpital comme au centre de dépistage étaient inscrits. Dans un second temps, nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux patients sortant d’hospitalisation souvent plus graves et oxygénodépendant. C’est essentiellement lors de la seconde vague que cet usage a été développé pour raccourcir les durées d’hospitalisation tout en maintenant la qualité et la sécurité des soins.
Aux patients sortant, nous leurs demandions de renseigner leurs symptômes et leur auto surveillances. On a fait le constat à l’usage que l’auto-surveillance convenait à des patients plutôt jeunes et agiles avec les outils numériques mais l’observance baissait chez les patients âgés fragiles ou au profil social précaire. Ils étaient pourtant principalement concernés par l’évolution défavorable et représentaient un enjeu considérable sur les lits d’hospitalisation. On a pris le parti, pour ces derniers, de les appeler par téléphone pour les guider et remplir avec eux les symptômes et la surveillance. Mais pour les plus âgés, ce format n’était toujours pas idéal. Nous avons alors initié des passages d’IDE libérales aux domiciles. Pendant la deuxième vague, alors que nous avions plus de recul sur l’évolution de la maladie, son histoire naturelles et son traitement, nous avons entrepris de gérer en ambulatoire sous oxygène un nombre important de patients jusqu’alors hospitalisé. Une équipe mobile hospitalière a été créée puis a été remplacé par l’HAD Santé Service pour les plus graves, mais également PRADO ou Airlife médical pour les patients de gravité intermédiaires. Sans l’outil eCovid et aussi l’utilisation des listes de travail de Terr-eSanté ces projets n’auraient sans doute pas été aussi simple à mettre en œuvre et aussi qualitatif : une surveillance quotidienne par la ville était tracée pour chaque patient, l’hôpital assurait le suivi de ces patients en attendant la reprise en main du patient par le médecin traitant pour ceux qui en disposent. L’outil a permis de faciliter les échanges et la communication d’information (constantes, état général, envoi de prescription, adaptation de l’oxygénothérapie, récupération des bilans réalisés en ville et d’organiser des filières de réadmission sans passer par les urgences).
Au-delà de la prise en charge en aiguë, nous avons entrepris concernant les patients covid sous oxygène de les suivre dans un circuit fléché interne grâce à l’équipe du Dr Apperé en pneumologie et de mettre en place la consultation à 3 mois de toutes les formes oxygénodépendantes avec scanner et EFR si besoin. eCovid sur Terr-eSanté est resté le support de ce suivi entre les urgentistes, les services covid, les professionnels de villes et le service de pneumologie.
Grace à cette expérience, les urgences ont par ailleurs étendu l’usage de Terr-eSanté à toutes les filières post urgences de l’hôpital et est devenu le lieu de dépôt de dossier semi-urgent pour des consultations de pneumologie hors covid, gastro-entérologie, rhumatologie, neurologie, gériatrie, chirurgie viscérale, cardiologie, suivi des AES et paludisme ambulatoire, adaptation des antibiothérapies des infections urinaires ou discussion opératoire de fractures gérées en ambulatoire.
Quels ont été vos premiers constats sur l’utilisation de l’outil ?
Ce que nous a montré Terr-eSanté pendant la première vague de l’épidémie c’est que ceux qui remplissaient correctement leurs symptômes d’auto-surveillance revenaient moins souvent aux urgences. L’outil nous a permis de faire sortir des malades en les surveillants, de diminuer significativement les retours vers les urgences, de surveiller des malades fragiles et de les faire revenir à temps quand leur état se dégradait. Secondairement nous avons pu étendre les indications de la prise en charge ambulatoire avec diminution des DMS des patients les plus sévères mais aussi de diminuer le recours à l’hospitalisation classique. L’hôpital qui avait été submergé en première vague et qui avait du interrompre de nombreuses prises en charge programmées de patients non covid a réussi à se réorganiser pour poursuivre les soins programmés en vague 2 et 3 des patients non covid. Tout ceci avec une qualité des soins identiques, une satisfaction des patients et de leur famille et avec une sécurité des soins qui a été confirmé par l’analyse à posteriori de notre série. Sur plus de 550 patients oxygénodépendant pris en charge au domicile, aucun décès ne s’est produit en préhospitalier. Le taux de retour en hospitalisation a été de 10%. L’outil a incontestablement facilité la prise en charge ambulatoire.
Avez-vous eu des problèmes de formation pour apprivoiser eCovid ?
Pas vraiment, même si les utilisateurs prétextent souvent au départ des difficultés techniques d’ouverture de compte. Leur première réflexe est aussi de dire « on a déjà un logiciel métier ». Mais ce n’est pas un logiciel. C’est un outil d’échange sécurisé , sorte de « Whatsapp » médicale qui permet de partager, dans des cercles de soins que l’on définit préalablement, de l’information médicale sous forme de notes, documents, prescriptions, images….. Quand ils ont surmonté leurs appréhensions ils voient rapidement la simplicité, l’usage et les intérêts que l’on peut en retirer pour la gestion coordonnée des patients notamment entre la ville et l’hôpital mais aussi au sein de l’hôpital. Reste à organiser au quotidien l’usage de cet outil dans l’organisation de travail des équipes et à le pérenniser.
Combien de personnes utilisent eCovid à l’hôpital d’Argenteuil ?
Au 31 juillet 2021, au Centre Hospitalier d’Argenteuil, 200 comptes professionnels ont été ouverts dont 129 profils médicaux. 51% des médecins titulaires ont un compte. Une dizaine d’équipe (infectiologie, pneumologie, parasitologie, AES, gériatrie, rhumatologie, chirurgie viscérale et orthopédique, cardiologie, neurologie, hématologie, oncologie, soins palliatifs, psychiatrie, dermatologie) ont commencé à développer des chemins cliniques et construit des cercles de soins hôpital/hôpital et hôpital/ville pour améliorer la coordination des soins. eCovid a été à ce jour le plus important usage de l’outil mais d’autres usages très variés sont en cours de développement.
Le module eCovid a-t-il étendu votre coordination avec des professionnels de santé avec qui vous n’étiez pas habitué à travailler ?
Oui Terr-eSanté a été un outil d’échange entre la ville et l’hôpital sur la surveillance des malades. Des échanges se sont fait sur l’état du patient, envoi d’ordonnance, les bilans numérisés, les commentaires quotidiens, images etc. Des liens avec des prestataires de ville (HAD Santé Service, PSAD, Airlife médical©) se sont noués alors que ces relations existaient peu auparavant, notamment à partir des urgences. Nous avons découvert la richesse de notre territoire en ressource paramédicale de ville à défaut de médecins. Mais nous ne savions pas comment nous coordonner et l’outil Terr-eSanté a été un « lieu » de rencontre. Ces professionnels nous donnent des informations précieuses sur la sortie d’hospitalisation d’un patient (évolution de la plaie sur Terr-eSanté, surveillance covid etc.) permettant ainsi à l’hôpital de mieux contrôler les sorties et ce que nous appelons la « zone grise » qui s’écoule entre la sortie du patient de l’établissement et sa reprise en main par le médecin traitant.
Pendant la crise comment s’est passé votre communication avec les équipes de SESAN sur l’évolution du module ?
Nous avons eu plusieurs points de rencontre pour adapter l’outil à nos besoins. Il a d’ailleurs gagné en fonctionnalités avec le temps. Plusieurs typologies de malades ont pu être distinguées, l’affichage général est devenu plus ergonomique, de nouvelles fonctionnalités comme la programmation des rendez-vous téléphonique ou l’affichage direct des médecins traitant sur le tableau de bord ont amélioré son usage au fil du temps. Il y a également eu des échanges sur les développements ultérieurs de l’outil, notamment pour l’orientation des patients en post urgence au sein de l’institution ou encore pour la sécurisation de la sortie des patients des urgences avec les professionnels de ville, un domaine qui m’intéresse particulièrement. Mes collègues de l’hôpital sont en cours de développement de l’usage de Terr-eSanté en psychiatrie entre hôpital et les CMP, ou encore pour le partage des informations avec les équipes mobiles, les HAD, le réseaux et l’hôpital en gériatrie, soins palliatifs, onco hématologie ou encore en sortie de l’unité de chirurgie ambulatoire.
Avez-vous des réserves sur l’outil eCovid ou d’autres fonctionnalités que vous auriez voulu utiliser pendant la crise?
Je n’ai pas de réserve pas rapport au module eCovid qui me semble devoir demeurer pour les nouvelles poussées épidémiques de covid. Il y a des fonctionnalités que j’aurais aimé utiliser dans d’autres domaines. Par exemple des parcours de soins existent dans eCovid pour les diabétiques et insuffisants cardiaques mais ils sont peu adaptés à la sortie des urgences. Il serait intéressant de construire des parcours de soins pour la surveillance post urgence par exemple des plaies, des traumatismes crâniens, des coliques néphrétiques, des crises d’asthme, des poussées d’insuffisance cardiaque ou même des douleurs abdominales non spécifiques. L’usage des listes est aujourd’hui essentiel pour notre activité quotidienne, mais ces tableaux de suivis gagneraient à acquérir plus de fonctionnalité pour que chaque spécialités puissent construire des chemins cliniques personnalisés à chaque territoire.
Par rapport à votre vision des outils numériques avant la crise sanitaire, qu’est-ce que eCovid a mis en lumière comme bonne pratique à réutiliser ?
En possédant un outil comme celui-ci, on bénéficie d’un support qui facilite les relations entre praticiens la ville et l’hôpital. On peut surveiller à distance, mieux communiquer entre professionnels de santé, améliorer le suivi des patient et le parcours de soins, diminuer le retour du patient aux urgences, diminuer les taux d’hospitalisation et la durée d’hospitalisation des malades quel que soit le motif. Cela sécurise la sortie des urgences ou d’hospitalisation des patients. Cela aide aussi indirectement à formaliser des filières de soins et des chemins cliniques. Évidemment, c’est un effort que de souhaiter cette amélioration qualitative, il faut donc travailler les organisations à la lumière des possibilités que l’outil offre et qui a montré son intérêt pour poursuivre l’amélioration de la prise en charge des patients.
C’est quelque chose que les patients comprennent, ou il y a toujours une réticence à utiliser ce genre d’outil ?
Les patients sur Terr-eSanté ne sont pas tous capables de manipuler le module eCovid quand il s’agit de renseigner eux-mêmes leurs symptômes. Mais ils voient qu’un suivi est mis en place. On échange des données, même si ce n’est pas eux qui les rentrent nécessairement, ils constatent bien qu’ils peuvent rentrer à la maison plus rapidement. Je ne sais pas si les patients ont conscience de tout ce que l’outil permet pour un professionnel mais ils perçoivent bien qu’ils sont mieux suivis.
Vos collègues sont-ils eux-mêmes plus rassurés par l’utilisation du module eCovid ?
Mes collègues s’y mettent, il faut parfois leurs rappeler de consulter l’outil pour programmer des soins. L’enthousiasme dépend évidemment des personnes, des spécialités et de l’envie de s’impliquer plus dans l’organisation de la prise en charge du patient à la sortie de la consultation, au moment du passage aux urgences ou à l’hospitalisation. D’autres sont motivés notamment par l’accroissement de leur file active et le recrutement de patients. Pour certains Terr-eSanté est déjà ancré dans leur fonctionnement quotidien (rhumatologie, pneumologie, gériatrie, urgences). Pour d’autres, il faudra leur laisser plus de temps pour qu’ils se l’approprient. Les filières témoins dynamiques ont un rôle important afin d’exposer les différents apports de la plateforme dans la gestion quotidienne des patients. Je suis convaincue qu’à termes, si l’effort est soutenu et structuré à l’hôpital comme en ville, cet outil sera une pièce majeure de la coordination des soins sur un territoire de santé.
Depuis fin juin, dans le cadre de la mise en place du dispositif régional de prise en charge des patients Covid long SESAN a adapté plusieurs de ses outils numériques.
Avec l’appui de l’Agence Régional de Santé, SESAN a ajouté le renseignement des cellules d’appui Covid long et des unités SSR Covid long en hospitalisation de jour dans le ROR ainsi que dans les sites Maillage et Santégraphie.
Des évolutions ont été mises en place dans Terr-eSanté pour suivre l’activité des cellules d’appui et permettre aux professionnels de santé de repérer les patients Covid long. Enfin, une ouverture aux demandes d’admission vers les SSR/HDI Covid long a été ajouté sur ViaTrajectoire avec des pages d’informations dédiées disponibles sur les sites Maillage.
Pour plus de renseignement : covid@sesan.fr